
Jacqueline Macé-Bordy
Mes voyages, mes recherches




















Quelques planches sur les rudistes
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Avant-propos
Les Rudistes sont des mollusques fossiles qui ont vécu au Crétacé et ont disparu à la fin de cette période, largement méconnus. Le but de cet ouvrage est de faire connaître d’une manière simple ces bivalves dont l’évolution s’est effectuée pendant une courte période à l’échelle géologique, à peine 100 millions d’années. Ces fossiles ont été particulièrement observés au XIXe siècle par le grand paléontologue Alcide d’Orbigny et, en 2005, j’ai publié une révision des rudistes crétacés de la Paléontologie française d’Alcide d’Orbigny, effectuée à partir de la collection portant son nom et conservée au Muséum national d’Histoire naturelle. Auparavant, en 1998, j’avais publié un manuscrit sur les rudistes de La Cadière d’Azur (Var), localité où j’ai effectué des recherches personnelles. Aussi, beaucoup de ces mollusques mentionnés dans cet ouvrage proviennent de cette région et appartiennent à ma collection personnelle. De nombreux rudistes du Var sont également conservés à la Maison du Terroir et du Patrimoine de La Cadière d’Azur .
Qu’est-ce qu’un rudiste ?
Il s’agit d’un groupe bien déterminé de bivalves marins fixés, à valves inégales, aujourd’hui disparus, qui connut une importante diversification au cours des quelque 90 millions d’années que dura son histoire. Apparus il y a environ 156 millions d’années, au Jurassique, les rudistes parvinrent rapidement à une position dominante sur les plates-formes de la Téthys, jusqu’à leur soudaine disparition à la fin du Crétacé, il y a 66 millions d’années.
Morphologie
L’orientation de la coquille des rudistes est la même que celle de n’importe quel mollusque bivalve, en l’ouvrant, on a la petite valve à notre gauche et la grande valve à notre droite, en sachant que la charnière est dorsale et que le muscle antérieur qui réunit les deux valves est plus petit que le muscle postérieur (I, A)
Les rudistes sont des animaux marins qui vivaient posés ou le plus souvent fixés sur le fond d’une mer peu profonde (moins de 50 m de profondeur, dans la zone infralittorale supérieure) par l’extrémité ou apex de l’une des valves, la droite le plus souvent .
La valve supérieure gauche, réduite, operculaire, joue le rôle de couvercle (et de clapet de pressurisation quand la mer est exceptionnellement basse) et peut se soulever. L’ouverture et la fermeture de la coquille sont commandées par des muscles puissants qui relient les deux valves, l’un antérieur et l’autre postérieur (ce dernier est très développé), fixés directement à la paroi de la coquille (ou test) ou sur des apophyses (protubérances simples) ou plus rarement sur des lames myophores (protubérances tabulaires, allongées) (I, C). La valve gauche d’une famille de rudistes (les Hippuritidae) est percée de pores dont la forme varie avec le genre, soit polygonaux soit denticulés (III, D); ceux-ci sont souvent bouchés par de la calcite après leur mort. Elle porte également des stries radiaires (I, B) à l’intérieur desquelles circulait l’eau. Il est très rare que l’on retrouve cette valve, petite, légère, transportée au loin et érodée le plus souvent par les eaux de ruissellement.
La valve inférieure droite est épaisse (constituée de calcite et d’aragonite), profonde (comme celle des huitres), rugueuse au toucher, de forme cylindrique, conique ou enroulée. Elle montre à l’intérieur de nombreuses cloisons en ménisque marquant les différentes étapes de croissance de la coquille (IV, C). Le corps de l’animal n’occupe que la partie supérieure de la valve droite. Chez certaines familles de rudistes, le test est parfois creusé de petites cavités et de « canaux palléaux » longitudinaux fins, visibles lorsqu’il y a usure superficielle de la coquille (Caprinidae, Ichtyosarcolitidae, Plagioptychidae). Le rôle de ces canaux reste inconnu si ce n’est peut-être l’allègement du test sans perte de solidité. Les rudistes sont des bivalves hétérodontes (la charnière a seulement trois dents) et pachyodontes (les dents sont très développées) à la différence des bivalves classiques. Ces dents droites ou recourbées coulissent dans la ou les fossettes de la valve opposée et assurent le guidage dans le déplacement de la valve operculaire.
Mode de vie
Ils vivaient souvent en colonies, plus loin de la côte que les coraux, et formaient parfois des constructions calcaires tabulaires ou biostromes, où l’on voit le plus souvent les sections de ces bivalves en position de vie (tels qu’ils étaient avant de mourir). Citons les calcaires à Hippuritidae (Hippurites socialis (II, B) du Crétacé supérieur de la Barre (« récif ») de La Cadière d’Azur (Var), au nord de Bandol, ou de la Montagne des Cornes (Aude), entre Narbonne et Perpignan. La Barre est formée par une superposition de couches calcaires et de couches de marne où les rudistes sont plus aisés à dégager. Au moment de sa formation, sous l’eau, le fond de la Barre s’affaissait petit à petit (phénomène de subsidence) d’où cette superposition des couches.
Les rudistes sont microphages, ils se nourrissent de phytoplancton marin, de matières organiques en suspension : ce sont des animaux filtreurs, comme nos bivalves actuels. De plus, des Zooxanthelles, algues brunes microscopiques (Dinoflagellés), vivaient en symbiose avec les rudistes et leur procuraient un apport supplémentaire de nourriture (par photosynthèse), nécessaire à leur forte croissance. Certains rudistes étaient de grande taille avant leur extinction à la fin du Secondaire, comme Bournonia bournoni (VII, B). Ils vivaient dans un milieu marin relativement agité pour que soient assurés à la fois le renouvellement des particules alimentaires et l’évacuation des déchets. Les bivalves fouisseurs ou fixés actuels possèdent des ouvertures siphonales leur servant à inhaler et exhaler l’eau au travers des branchies (cas des praires, des coques) ; chez les rudistes, l’interprétation de la fonctionnalité des siphons S et E (I, D) est fortement discutée, les piliers S et E ne possédant aucun canal interne permettant le passage de l’eau…
Les rudistes vécurent au Secondaire, au Crétacé, dans une eau chaude très riche en bicarbonate de calcium, sur les plates-formes continentales carbonatées, peu profondes (-50 m), de l’Océan Téthys (ancien grand océan qui séparait l’Eurasie de l’Afrique), puis se sont éteints il y a - 66 Ma, un peu avant la grande crise géologique à la limite Crétacé-Tertiaire (il y a - 65 Ma). On observe des rudistes dans les pays du pourtour méditerranéen : l’Europe du Sud, l’Afrique du nord et le Moyen-Orient (Turquie, Sinaï, Syrie, Iran, Oman, Chine), ainsi que dans le sud-est de l’Inde, l’Archipel indonésien …, les îles Marshall, le Pérou, le Texas, les Caraïbes (Cuba et le golfe du Mexique). Ils se sont éteints en même temps que les ammonites, les bélemnites…
Evolution
Les Hippuritidae (planches I, II, III, IV) apparurent au Crétacé supérieur, ils sont considérés comme les rudistes les plus récents et les plus évolués ; les Diceratidae (planche X), petits, à coquille enroulée, sont les plus anciens ; ils font leur apparition au Jurassique (Oxfordien, il y a -156 Ma) ; ils sont proches des bivalves classiques. On observe au Crétacé un déroulement progressif de la valve droite (fixée à un support) : elle devient droite, conique, haute, légèrement torsadée à son extrémité (IV, A), luttant contre la force des vagues, l’extrémité de la valve fixée est souvent cassée. Les rudistes se sont totalement éteints à la fin du Crétacé sans laisser de descendants actuels qui pourraient permettre par extrapolation d’imaginer leur morphologie interne (ce qui est possible, par exemple, pour les ammonoïdés grâce aux nautiles actuels).
Les points d’intérêt de ces bivalves sont de deux ordres :
. Les rudistes sont de bons fossiles de faciès, on peut retracer le paysage, le milieu à l’époque où ils vécurent. Ils ont vécu au Jurassique et au Crétacé, pendant à peu près 90 Ma sur notre planète, ce qui est très court à l’échelle géologique.
. Les rudistes sont de bons fossiles stratigraphiques. Leur évolution morphologique, comme la perte progressive de la spiralisation de la coquille, a été rapide ; aussi ces bivalves permettent-ils de dater avec suffisamment de précision les couches de terrains où ils se situent ex. Requieniia ammonia est présent dans les couches sédimentaires il y a environ 125 Ma (Barrémien supérieur-Aptien inférieur) ; Caprina adversa il y a 95 Ma, (Cénomanien) ; Hippurites radiosus il y a 80 Ma (Campanien).
Classification des Rudistes
Les rudistes sont classés de la famille la plus récente à la plus ancienne :
. Les Hippuritidae (planches I, II, III, IV) apparurent au Turonien, il y a environ 91 Ma. La valve supérieure plate porte à la face supérieure des pores (III, D), à la face inférieure une arête ligamentaire dorsale L, deux énormes dents droites cardinales (da, dp), une apophyse musculaire (ma) et une lame myophore (lmp) où se fixent les muscles adducteurs antérieur et postérieur (ma, mp) (I, C). La valve inférieure, droite, montre : des côtes longitudinales, trois sillons L, S, E, correspondant à l’arête ligamentaire L (sans ligament) et aux deux piliers S et E internes (I, D). Le test est percé de canaux transversaux très fins (I, D).
. Les Radiolitidae (planches V, VI, VII, VIII) est la famille la plus représentative des rudistes dont les plus anciens remontent au Barrémien supérieur, il y a environ 125 Ma. La valve inférieure présente au niveau des stries d’accroissement des lames externes plus ou moins saillantes, ondulées, parfois épaisses (V, E) ; les ondulations de ces dernières au niveau des sinus S et E sont souvent accentuées et dirigées vers le haut, surtout chez les Praeradiolites (V, B). La valve supérieure porte à sa face inférieure une arête ligamentaire sans ligament, deux grandes dents cardinales droites. Les autres familles (Caprinidae, Requieniidae, Diceratinidae …) se différencient les unes des autres par : la forme de la valve développée et celle de son crochet, celle de la dent postérieure de la charnière (droite, contournée, renversée vers l’extérieur) ; les points d’attache des muscles adducteurs (sur le test, sur une apophyse, sur une lame dite myophore), la présence ou non de canaux fins longitudinaux dans l’épaisseur du test (IX, A).
Planche I Généralités
A Orientation de la coquille (ouverte) des bivalves (celle de la praire) : V.G., V.D., ma, mp, c, sont successivement la valve gauche, la valve droite, le muscle antérieur, le muscle postérieur (et leur point d’attache), la charnière dorsale, de la coquille de l’animal. A titre indicatif, pour la suite de notre travail : L signifie longueur ; l, largeur ; h, hauteur ; d, diamètre.
B Hippurites radiosus, (Hippuritidae)
Campanien supérieur, Périgueux (Dordogne) L : 12 cm d : 11 cm
Le rudiste a ses deux valves.
La valve gauche plane, operculaire, dont le sommet est abîmé, montre de grands canaux rayonnants. L’orifice ou oscule, à droite, laisse entrevoir en partie le pilier interne S. Les stries d’accroissement légèrement saillantes sont très rapprochées.
C Valve supérieure, gauche, de Hippurites radiosus montrant les deux grosses dents cardinales, droites (da, dp) de la charnière, l’apophyse musculaire (ma) et la lame myophore (lmp) sur lesquelles se fixent les deux muscles qui relient les deux valves.
Diamètre de la valve supérieure, 11 cm, épaisseur de la coquille, 5 mm.
D La valve inférieure, droite, de Hippurites radiosus montre l’épaisseur de la coquille, les replis internes de la coquille : l’arête ligamentaire L (1 cm) en haut, le pilier S (1 cm) et le piler E (1,5 cm) à droite. L’impression musculaire (ou point d’attache du muscle sur la coquille) antérieure (ma1 et ma2) sur la valve inférieure est très développée (visible à gauche) et présente une forme de croissant. La cavité générale (C.G.) où vivait l’animal, est réduite par rapport à la taille de la coquille.
Planche II Hippuritidae, genre Hippurites
A Hippuritella toucasiana
Santonien inférieur et moyen (-85 Ma), La Cadière d’Azur (Var) L : 12 cm et plus, d : 3,5 cm
La valve gauche pustuleuse (II, A) vue de face, ici grossie (x2), légèrement convexe, aux pores polygonaux (un peu visibles au centre), est très souvent absente dans la réalité. Les trois valves droites accolées de ce rudiste, vues de profil, longues, cylindriques, présentent des côtes de 2 à 3 mm de large et des sillons peu marqués. Ces rudistes vivent souvent en colonies et sont très présents à La Cadière (90 % de l’ensemble des rudistes).
B Hippurites socialis
Santonien, La Cadière d’Azur (Var) L : 12 cm et plus (50 cm) d : 2,5 cm
Valves droites cylindriques sectionnées transversalement montrant : l’arête ligamentaire très petite et les piliers S (4 mm) et E (4mm), les côtes de 1 à 2 mm de large et les sillons sont assez peu marqués. Ces exemplaires accolés de la variété « irregularis » forment des biostromes (ou « récifs »), des bioconstructions importantes.
C Hippurites canaliculatus
Santonien supérieur, région du Beausset (Var) L : 5 cm (cassé à son extrémité) d : 3,5 cm.
La valve inférieure (ici sectionnée transversalement en dessous de la commissure des deux valves) conique, plus ou moins arquée à son extrémité, porte des côtes de 2 mm de large et des sillons assez profonds.
L’arête L est courte, 2mm ; S, 4 mm ; E, 7 mm.
D Hippurites sublaevis
Santonien inférieur, La Cadière d’Azur (Var) L : 7,5 cm d : 4,5 cm
Les pores de la valve gauche sont obliques par l’usure des pores initialement vermiculés ; sur la valve droite dépourvue de côtes on observe un sillon L (au milieu), des stries transversales fines ; la surface de la valve est presque lisse.
Planche III Hippuritidae, genre Vaccinites
A Vaccinites dentatus
Santonien inférieur, Le Beausset (Var) L : 10 cm d : 6,5 cm
Valve inférieure droite : côtes de 2 à 3 mm de large et anguleuses, sillons peu marqués. Stries d’accroissement (Z) en zigzag, en relief et espacées, extrémité légèrement torsadée.
B Vaccinites giganteus variété major
Santonien inférieur, région du Beausset (Var) L : 20 à 60 cm d : 11 à 13 cm
Grande taille ( ici x 0,5 ), côtes fines.
D’une façon générale, les Vaccinites sont de plus grande taille que les Hippurites.
C Coupe transversale au niveau de la valve droite de Vaccinites giganteus à 1 cm en dessous de la commissure des deux valves, les piliers internes E et S sont allongés et pédonculés, l’arête ligamentaire L est très allongée et taillée en biseau à son extrémité. Les trois replis internes rapprochés côté dorsal, caractérisent les Vaccinites. De la micrite (en foncé) comble l’intérieur de la coquille : la valve supérieure gauche filtre la vase calcaire et réalise à l’intérieur de la coquille un milieu réducteur favorisant l’apparition d’un peu de pyrite diffuse.
D Valve supérieure de Vaccinites beaussetensis montrant les pores polygonaux denticulés (caractéristiques des Vaccinites) de la valve supérieure.
©Jacqueline Macé-Bordy