top of page

Jacqueline Macé-Bordy
Mes voyages, mes recherches






STROMATOLITES PRÉCAMBRIENS DE L’ANTI-ATLAS (Maroc)
Ici, sans la douceur des dunes, les reliefs mis à nu
Expriment de façon brutale la force qui les modèle
Et cette force est un sublime opéra minéral.
La Fédération Française Amateur de Minéralogie et Paléontologie a organisé dans la semaine du 11 au 18 mai 2003 un intéressant voyage géologique dans le sud du Maroc (Marrakech, Agdz, Alnif, Rissani, Erfoud, Tinerhir), auquel une dizaine de membres de la Saga a participé. Cette excursion a été effectuée sous la conduite de Monsieur Claude Decoudu, de sa femme, et de Mohamed Benbouida, notre guide.
Le 12 mai, dans le Djebel Tifernine, au sud-est de Ouarzazate, nous avons observé des stromatolites (ou stromatolithes). Ces derniers sont des constructions calcaires dues à l’activité biochimique des Cyanobactéries, appelées jadis Algues bleues ; elles appartiennent à la classe des Cyanophycées.
Structure primitive des Cyanobactéries
Ce sont des végétaux aquatiques unicellulaires microscopiques qui se multiplient uniquement par spores et se reproduisent par simple division de la cellule (il n’y a pas de reproduction sexuée comme chez des Algues en général). Sur la zone périphérique de la cellule de ces Cyanophycées, des sortes de sacs aplatis et dépourvus de membrane, les thylakoïdes, renferment des granules de chlorophylle ; il n’y a pas, comme chez les végétaux, en général, de chloroplastes individualisés. La cellule, microscopique, de l’ordre de quelques microns, ne présente ni membrane nucléaire, ni chromosomes, ni mitochondries, mais renferme dans sa partie centrale de fines aiguilles d’acide désoxyribonucléique (l’ADN, libre dans le cytoplasme, n’est pas organisé en chromosomes) ; les Cyanophycées appartiennent alors au règne des Procaryotes. Les cellules peuvent être isolées ou le plus souvent associées en filaments appelés trichomes.
Le Précambrien (qui débute dès l’Archéen et s’étend jusqu’au Cambrien, soit – 3 800 à - 570 millions d’années) est dominée par l’existence de Procaryotes (Bactéries et Cyanophycées appartenant au groupe des Schizophytes), suprématie qui va durer environ deux milliards d’années.
Les Cyanobactéries ne sont ni des bactéries ni des algues au sens strict du terme, mais forment une famille intermédiaire.
Activité biochimique des cyanobactéries. Les stromatolites
La chlorophylle A, visible dans la cellule de la Cyanobactérie, est masquée par un pigment bleu : la phycocyanine présente en grande quantité. Ces cellules de couleur bleu-vert, possèdent la propriété de décomposer le bicarbonate de calcium dissous dans l’eau pour utiliser le dioxygène de carbone (CO2) pour leur photosynthèse, en laissant le carbonate neutre se déposer au voisinage de leur cellule.
Ces Procaryotes recouvrent un support rocheux d’un voile gluant. L’activité biochimique entraîne la précipitation de carbonates qui se trouvent piégés par le voile visqueux et vont constituer ainsi un encroûtement calcaire.
Le calcaire qui résulte de cette activité biochimique a un aspect spécial, finement rubané, formé par l’empilement de minces lamelles calcaires, ou lamines. Il est formé par l’agglomération de minuscules cristaux de carbonates par des tapis de cyanobactéries. La précipitation du carbonate de calcium a réalisé ces formes encroûtantes étendues, véritables « récifs» de calcaire construit par les Cyanobactéries (stromatolites ou calcaire à stromatolites), en association avec des bactéries. Cette activité biologique est à l’origine des formations calcaires en forme de dômes, de colonnes, de feuillets ou de sphères. Entre les lamines calcaires, on observe des lames plus foncées formées de particules détritiques.
Les stromatolites du sud du Maroc
A l’est à 27 km au sud-est de Ouarzazate, dans l’Anti-Atlas, en bordure de la route P31 reliant Ouerzazate à Agdz et traversant le plateau volcanique de Tifernine, que l’on peut observer, entre les couches d’andésites et de cinérites, tufs, brêches rhyolitiques et andésitiques, un banc calcaire formé de stromatolites en dôme, du Protérozoïque supérieur, plus exactement du Néoprotérozoïque III (Précambrien III), remontant environ à 600 millions d’années. La surface de ces constructions est plane et interrompue irrégulièrement par de petits dômes. Les lames, couleur alternativement « lie-de-vin » et blanche (plutôt rose pâle), sont irrégulières, plus ou moins ondulées et s’emboîtent les unes sur les autres (voir photo). La croissance se faisait par additions successives verticales de strates. L’épaisseur des lamines est de 1 à 2 mm. Les constructions calcaires atteignent ici environ 45 cm de hauteur.
Georges Chaubert, Jean Hindermeyer et Henri Hollard (1952) signalent la présence de stromatolites groupe Collenia dans les calcaires du Précambrien III de l’Anti-Atlas. Les stromatolites sont situés dans la bordure nord-ouest du bouclier saharien.
Écologie des Cyanobactéries responsables de l’élaboration des stromatolites de la région
Les lamines calcaires de ces stromatolites se sont formées sous 5 cm d’eau de mer agitée. Pendant la marée montante, le dépôt est calcaire et, pendant la marée descendante, le dépôt est détritique et rouge foncé (teinté par de l’oxyde de fer hydraté ou « rouille »), d’où la superposition de ces deux couleurs chez les stromatolites.
Les Cyanobactéries peuvent encore aujourd’hui pulluler si l’environnement leur convient tout à fait ; elles affectionnent les eaux chaudes et peu profondes à forte évaporation, comme celles de Shark Bay (Australie occidentale) où des stromatolites géants colonisent largement la zone littorale.
Les cyanobactéries sont à l’origine du dioxygène atmosphérique
Les stromatolites sont répandus au Précambrien dans différentes régions du globe. Ils se raréfient il y a 800 millions d’années mais restent cependant connus jusqu’à nos jours. Les formes actuelles (Shark Bay, les lacs d’Afghanistan) sont identiques à celles du Précambrien. En France, on peut rencontrer des stromatolites datant du Cambrien inférieur, dans les monts du Minervois, le Calvados (région de May-sur-Orne), la Mayenne (bassin de Laval).
Les Cyanobactéries responsables de ces constructions pratiquent, le jour, la photosynthèse aérobie. Le donneur d’électrons est l’eau et il y a dégagement de dioxygène (O2). Le gaz carbonique absorbé par la cellule intervient dans la formation des molécules organiques.
Au cours du Protérozoïque (période qui s’étend de – 2 500 à - 540 millions d’années), les Cyanobactéries ont produit ainsi par photosynthèse du dioxygène qui a tout d’abord servi à oxyder le fer en solution dans les océans et a entraîné sa précipitation sous forme d’hydroxyde de fer, de carbonate de fer…. Puis, du dioxygène libre, toujours produit par les Cyanobactéries, s’échappe un peu plus tard dans l’atmosphère, dont la concentration est de l’ordre du centième de la concentration actuelle, vers – 2 000 millions d’années (la teneur actuelle, voisine de 20 %, n’aurait été atteinte que beaucoup plus tard, soit vers – 400 millions d’années), de 1 % vers – 1 000 millions d’années. L’évolution des êtres aérobies est désormais possible : la respiration fait son apparition.
Cette augmentation de la quantité de dioxygène d’origine biologique, au Protérozoïque, est venue s’ajouter au dioxygène formé par l’action des ultraviolets sur la vapeur d’eau ; elle a permis dans la haute atmosphère le développement d’une couche d’ozone ou trioxygène (O3) protectrice (elle absorbe les rayonnements ultraviolets solaires) qui apparut il y a environ
–1500 millions d’années, favorisant la survie des organismes vivants dans les parties superficielles des océans. Avant cette date, la vie était essentiellement aquatique : une couche d’eau, formant un écran protecteur et arrêtant les rayons ultraviolets, était indispensable à la vie. Le taux faible de dioxygène dans l’atmosphère n’a permis que l’activité aérobie d’organismes microscopiques, d’architecture simple.
Remarques
On peut trouver soit des concrétions calcaires, soit une substitution de celles-ci par d’autres minéraux. C’est le cas par exemple, dans les calcaires siliceux du Minnesota (États–Unis) où les stromatolites Collenia indosa ont été totalement substitués par du jaspe rouge.
Autre remarque intéressante : dans les couches sédimentaires de Mauritanie datées d’environ un milliard d’années, on a découvert d’une part des bactéries et des Cyanophycées et, d’autre part, des « sphaeroïdes », interprétés comme des groupements symbiotiques qui associeraient une Cyanobactérie et, en couche périphérique, des bactéries. Au cours du temps, ces dernières se seraient incorporées dans la cellule de la Cyanobactérie et seraient devenues des mitochondries et des plastes. Édouard Boureau, professeur de l’Université Paris VI, considère ces associations comme des témoins du passage des Procaryotes aux Eucaryotes : la cellule présente un noyau, des chromosomes, comme chez la plus grande partie des êtres vivants et elle serait apparue il y a environ 1700 millions d’années, dès que l’atmosphère a renfermé suffisamment d’oxygène.
Conclusion
Ces Cyanophycées, qui ont participé à la construction des stromatolites, sont considérées par de nombreux spécialistes comme les témoins possibles des premières formes vivantes. Ces algues semblent avoir été capables d’une photosynthèse très active et avoir joué un rôle fondamental dans la formation d’oxygène gazeux dans l’atmosphère. Présentes en grande masse dans les océans au Protérozoïque, elles ont contribué à modifier ainsi la composition de l’atmosphère primitive qui était totalement dépourvue de dioxygène il y a plus de 2 000 millions d’années.
© Jacqueline Macé-Bordy, membre de la SAGA
Bibliographie
BARALE G. et LEMOIGNE Y. (professeurs à l’Université Claude Bernard, Lyon) (2000) - L’évolution de la flore. Pour la Science, p. 38.
BOURRELLY P. (2000) - Cyanophycées. Encyclopædia Universalis, France, pp. 905-907.
CHOUBERT G., HINDERMEYER J., HOLLAND H. (1952) - Notes et Mém. Serv. Géol. Maroc, n° 95, T VI, pp. 543-545.
GUIRAUD M. et al. (1999) - Les âges de la Terre, MNHN, Paris, pp. 40-42.
BENBOUIDA M .(2003) - notre guide en géologie au Maroc (communication orale).
CALAMAND C. et al. (1994) - Sciences de la Vie et de la Terre, TS, édition Hachette, Paris, p. 280 (illustration).
TAVERNIER R. et al. (1994) - Sciences de la Vie et de la Terre, TS, édition Bordas, Paris, p. 279 (illustration).
PELLANT C. (1995) – Les fossiles, édition Casterman, p. 29 (illustration).
Carte routière et touristique du Maroc, Michelin à 1/ 1 000 000, édit. 2003, n° 742
bottom of page